• Lyon 22 Juin 2013

    Bruno Tardieu

     

    Intervention au Congrès de la fédération des Centres Sociaux :

    De la participation au pouvoir d’agir

    Pouvoir penser ensemble

    Important pour nous, vital pour la démocratie que les personnes en situations de pauvreté s’imposent comme partenaires incontournables pour penser et agir dans le monde.

     

    Si les plus défavorisés n’apportent pas leur analyse, il manque un point de vue, cela donne des projets qui ne prennent en compte qu’une partie de la population, qu’une partie du quartier, qui divisent et qui amènent encore plus de violence.

     

    Notre fondateur Joseph Wresinski disait :

    « vieux frère si tu ne penses pas par toi-même sera toujours l’esclave des autres »

     

    Et ma voisine Charmaine Riddick à New York qui avait failli être expulsée me disait Georges Bush, il peut nous retirer tous nos droits mais l’éducation qu’on a eu, personne ne peut nous la retirer.

     

    On a fait, depuis 50 ans, tenté de développer cette capacité d’analyse des personnes en situation d’exclusion et qu’elle contribue à influencer la société et je vais partager avec vous quelques défis et quelques repères pour les relever, glané au fil des années.

     

    Le premier défi c’est justement qu’il y a des gens à qui on ne demande jamais leur pensée. Ils finissent pas croire qu’ils n’en ont pas, ils se taisent. La violence de la misère enferme dans le silence. Ou encore ils ont une parole dépendante, ils disent ce qu’il faut dire pour plaire aux travailleurs sociaux, à la sociologue, à l’enquêteur ou au leader du quartier.

    C’est la pensée assujettie.

    Pour arriver à une pensée et une parole libre, il est indispensable de sortir de la honte, d’avoir des espaces où ils se reconnaissent entre eux. « Je croyais que j’étais seul à avoir des galères pareil » Reconnaître son expérience, son courage son intelligence dans celui des autres, permet de sortir du silence de la honte.

    Dans l’UP QM, les gens s’engagent pour une année chaque mois, ils travaillent une question de société (par exemple l’éthique médicale) tout seul d’abord, puis par petit groupe de quartier donc avec des gens qu’on connaît, puis en région avec une centaine de personnes donc on ne connaît pas tout le monde. Et là, les savoirs qui ont émergé de l’expérience qui a toujours été cachée, peuvent se dire Les gens découvrent qu’ils peuvent avoir une pensée et du coup qu’ils peuvent aussi entendre celle des autres. Dans un livre fait par ma femme sur l’Université populaire Quart Monde, les gens disent que parfois des gens viennent pendant deux ans juste à écouter, ne rien dire car ils sont sûr que quand ils vont parler, tout le monde va se moquer d’eux. C’est ça construire un savoir émancipatoire, libérateur, qui mène à l’action.

    Un point de repère, là c’est le temps de faire émerger sa pensée, aller chercher la penser de l’autre, être certain que même si elle est encore tue, elle est là.

     

    Le deuxième défi, c’est que les autres ne croient pas que les personnes les plus défavorisées aient la capacité, ou l’envie, ou le temps de réfléchir aux questions de tous.

    Vous savez le fameux « du pain d’abord, la citoyenneté plus tard ». «Faux, archi faux ». Apparemment du bon sens, en vérité c’est une attitude qui enfonce. Supposer l’incapacité à réfléchir des plus démunis est une des causes majeures de la corrélation entre l’échec scolaire et la pauvreté qui est plus grande en France qu’ailleurs et continue d’augmenter.

     

    Tous les droits sont indivisibles, économiques, sociaux culturels ni plus ni moins importants que les droits civils et politiques. Les droits matériels et politiques en même temps, pas l’un conditionné par l’autre. Sans abris ne veut pas dire sans avis me disait un militant Quart Monde à la fin de notre assemblée générale il y a deux semaines.

    La vigilance, là, c’est de ne pas découper l’humain, l’indivisibilité des droits. Ce qui met par terre la pyramide de Maslow.

     

    Troisième défi

    Bien souvent on en arrive à penser qu’il faudrait questionner les personnes en situation d’exclusion, leur demander leur avis, cela devient une enquête. On leur pose des questions, on les analyse, pensant que c’est cela la participation. F. Ferrand qui a publié le premier livre sur l’UPQM, dit que la tentation c’est que la personne plus incluse pose des questions à la personne exclue. Patrick Champagne le collègue de Bourdieu dit pareil. C’est toujours ceux qui ont le pouvoir qui posent les questions à ceux qui ne l’ont pas, pensant bien faire.

    Ils cadrent la pensée, ils ne permettent pas aux personnes en situation d’exclusion de formuler, de poser leurs questions aux autres, de soulever les problématiques humaines sociales politiques. Ils deviennent juste des informateurs, ils illustrent nos idées par leurs exemples émouvants. On met les personnes en situation de pauvreté sous le microscope, ils deviennent objet de notre connaissance et pas chercheurs. Cela ne remet rien en cause.

     

    Le Croisement des Savoirs et des Pratiques a réussi à faire que des personnes en situation de pauvreté, des professionnels et des universitaires, à vraiment co-construire des problématiques, puis les étudier puis écrire ensemble les résultats de la recherche et pour l’action. Elles ont reconstruit autrement la pyramide de Maslow comme une sphère par exemple.

    Plus de 100 co-formations, par cette approche, ont permis cela entre des personnes en situation de pauvreté et des professionnels : un groupe de personnes en situation de pauvreté, qui construit sa représentation d’un problème, le groupe de pro fait de même puis confrontation, relecture d’interaction, puis préconisation co-construite.

    Quand des personnes en situation de pauvreté contribuent, formées des travailleurs sociaux ou des profs dans une co-formation, je vous assure que leur pouvoir de penser et d’agir est décuplé après. Et les professionnels apprécient aussi.

     

    Des animateurs de centre sociaux viennent de vivre une formation intense à animer cette démarche car nous avons décidé qu’aujourd’hui il était temps de ne pas la garder pour nous, à condition de ne pas en faire une technique mais une éthique et une pratique pour changer les choses grâce à la pensée de ceux qui n’ont jamais été sollicités.

     

    Et là les points de repère, c’est l’indépendance et la réciprocité. Il ne s’agit pas de penser pour les gens en situation d’exclusion, et il ne faut pas non plus qu’ils pensent tout seul c’est en construisant leur pensée et en déconstruisant et reconstruisant avec les autres qu’ils construisent la puissance de leur pensée.

     

    Le dernier défi c’est l’écrémage, c’est de se dire que c’est plus simple avec des gens qui un certain pré requis.

    C’est ce qui se trame au 8eme collège du CNLE.

    Vous savez on va consulter tout le monde, mais pas ceux là, ça va quand même être compliqué.

     

    Et c’est aussi ce qui est risqué dans les démarches de pouvoir d’agir : agir avec ceux qui ont tout de suite le plus de pouvoir.

    Comment faire que nos organisations du pouvoir d’agir citoyen ne deviennent pas des nouvelles machines à exclure ?

     

    Les plus pauvres sont souvent considérés comme des poids pour l’empowerment.

    Marx les voyait le sous prolétariat comme empêcheur de créer un rapport de force.

    Et Alinski qui inspire beaucoup l’apparition du pouvoir d’agir, lui a emboité le pas sur ce point.

     

    Mais, nous venons de le dire il ne s’agit pas seulement d’agir, mais aussi d’analyser, de critiquer et la pensée des gens exclus dans le quartier, qui a toujours manqué, amène les questions les plus dérangeante, les plus radicalement humaines.

     

    Dans le long combat que nous venons de mener pour introduire la coopération entre les enfants et la coopération école famille quartier dans la loi de refondation de l’école, nous avons mobilisé tous les acteurs syndicats, parents d’élèves etc…, dans une plateforme, mais c’est bien les familles les plus démunis qui ont amené les expériences et les questions les plus radicales, qui ont réuni et fait bouger tout le monde.

     

    L’écrémage est finalement une discrimination pour cause de pauvreté.

    La discrimination commence quand on a des stéréotypes, ceux là ne sauront pas contribuer, les femmes ne s’intéressent pas à la politique, inutile qu’elles aient le droit de vote.

    Des stéréotypes naissent les traitements différents et finalement la discrimination.

     

    Pour cela il faut aussi faire des grandes campagnes et nous sommes partenaires dans les campagnes liées au 17 Octobre journée mondiale du refus de la misère.

    Et le prochain thème, c’est cela, faire reconnaître qu’il y a de la discrimination pour cause de pauvreté.

    Et l’ONU a choisi ce thème pour le monde :

    « Vers un monde sans discrimination

    Grace à l’apport des populations les plus exclues ».


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  • Lyon 22 Juin 2013

    Bruno Tardieu

    ATD QUART MONDE

    De la participation au pouvoir d’agir

    Pouvoir penser ensemble

     

    ...Vous m’avez demandé de développer le pouvoir d’analyser. C’est essentiel !

    Voilà plus de 50 ans que nous essayons de le faire en particulier dans les Universités Populaires Quart Monde, nos bibliothèques de rues, dans les ateliers de Croisement des Savoirs et des Pratiques et dans nos évaluation-programmation.

     

    Important pour nous, vital pour la démocratie que les personnes en situations de pauvreté s’imposent comme partenaires incontournables pour penser et agir dans le monde.

     

    Si les plus défavorisés n’apportent pas leur analyse, il manque un point de vue, cela donne des projets qui ne prennent en compte qu’une partie de la population, qu’une partie du quartier, qui divisent et qui amènent encore plus de violence.

     

    Notre fondateur Joseph Wresinski disait :

    « vieux frère si tu ne penses pas par toi-même tu seras toujours l’esclave des autres »

     

    depuis 50 ans, on a tenté de développer cette capacité d’analyse des personnes en situation d’exclusion et qu’elle contribue à influencer la société et je vais partager avec vous quelques défis et quelques repères pour les relever, glané au fil des années.

     

    Le premier défi c’est justement qu’il y a des gens à qui on ne demande jamais leur pensée. Ils finissent pas croire qu’ils n’en ont pas, ils se taisent. La violence de la misère enferme dans le silence. Ou encore ils ont une parole dépendante, ils disent ce qu’il faut dire pour plaire aux travailleurs sociaux, à la sociologue, à l’enquêteur ou au leader du quartier.

    C’est la pensée assujettie.

    Pour arriver à une pensée et une parole libre, il est indispensable de sortir de la honte, d’avoir des espaces où ils se reconnaissent entre eux. « Je croyais que j’étais seul à avoir des galères pareil » Reconnaître son expérience, son courage son intelligence dans celui des autres, permet de sortir du silence de la honte.

    Dans l’UP QM, les gens s’engagent pour une année chaque mois, ils travaillent une question de société (par exemple l’éthique médicale) tout seul d’abord, puis par petit groupe de quartier donc avec des gens qu’on connaît, puis en région avec une centaine de personnes donc on ne connaît pas tout le monde. Et là, les savoirs qui ont émergé de l’expérience qui a toujours été cachée, peuvent se dire Les gens découvrent qu’ils peuvent avoir une pensée et du coup qu’ils peuvent aussi entendre celle des autres. Dans un livre fait par ma femme sur l’Université populaire Quart Monde, les gens disent que parfois des gens viennent pendant deux ans juste à écouter, ne rien dire car ils sont sûr que quand ils vont parler, tout le monde va se moquer d’eux. C’est ça construire un savoir émancipatoire, libérateur, qui mène à l’action.

    Un point de repère, là c’est le temps de faire émerger sa pensée, aller chercher la pensée de l’autre, être certain que même si elle est encore tue, elle est là.

     

     

     

    Le deuxième défi, c’est que les autres ne croient pas que les personnes les plus défavorisées aient la capacité, ou l’envie, ou le temps de réfléchir aux questions de tous.

    Vous savez le fameux « du pain d’abord, la citoyenneté plus tard ». «Faux, archi faux ». Apparemment du bon sens, en vérité c’est une attitude qui enfonce. Supposer l’incapacité à réfléchir des plus démunis est une des causes majeures de la corrélation entre l’échec scolaire et la pauvreté qui est plus grande en France qu’ailleurs et continue d’augmenter.

     

    Tous les droits sont indivisibles, économiques, sociaux culturels ni plus ni moins importants que les droits civils et politiques. Les droits matériels et politiques en même temps, pas l’un conditionné par l’autre. Sans abris ne veut pas dire sans avis me disait un militant Quart Monde à la fin de notre assemblée générale il y a deux semaines.

    La vigilance, là, c’est de ne pas découper l’humain, l’indivisibilité des droits. Ce qui met par terre la pyramide de Maslow.

     

     

    Troisième défi : indépendance et réciprocité

    Bien souvent on en arrive à penser qu’il faudrait questionner les personnes en situation d’exclusion, leur demander leur avis, cela devient une enquête. On leur pose des questions, on les analyse, pensant que c’est cela la participation. F. Ferrand qui a publié le premier livre sur l’UPQM, dit que la tentation c’est que la personne plus incluse pose des questions à la personne exclue. Patrick Champagne le collègue de Bourdieu dit pareil. C’est toujours ceux qui ont le pouvoir qui posent les questions à ceux qui ne l’ont pas, pensant bien faire.

    Ils cadrent la pensée, ils ne permettent pas aux personnes en situation d’exclusion de formuler, de poser leurs questions aux autres, de soulever les problématiques humaines sociales politiques. Ils deviennent juste des informateurs, ils illustrent nos idées par leurs exemples émouvants. On met les personnes en situation de pauvreté sous le microscope, ils deviennent objet de notre connaissance et pas chercheurs. Cela ne remet rien en cause.

     

    Le Croisement des Savoirs et des Pratiques a réussi à faire que des personnes en situation de pauvreté, des professionnels et des universitaires, à vraiment co-construire des problématiques, puis les étudier puis écrire ensemble les résultats de la recherche et pour l’action. Elles ont reconstruit autrement la pyramide de Maslow comme une sphère par exemple.

    Plus de 100 co-formations, par cette approche, ont permis cela entre des personnes en situation de pauvreté et des professionnels : un groupe de personnes en situation de pauvreté, qui construit sa représentation d’un problème, le groupe de pro fait de même puis confrontation, relecture d’interaction, puis préconisation co-construite.

    Quand des personnes en situation de pauvreté contribuent, formées des travailleurs sociaux ou des profs dans une co-formation, je vous assure que leur pouvoir de penser et d’agir est décuplé après. Et les professionnels apprécient aussi.

     

    Des animateurs de centre sociaux viennent de vivre une formation intense à animer cette démarche car nous avons décidé qu’aujourd’hui il était temps de ne pas la garder pour nous, à condition de ne pas en faire une technique mais une éthique et une pratique pour changer les choses grâce à la pensée de ceux qui n’ont jamais été sollicités.

     

     

    Et là les points de repère, c’est l’indépendance et la réciprocité. Il ne s’agit pas de penser pour les gens en situation d’exclusion, et il ne faut pas non plus qu’ils pensent tout seul c’est en construisant leur pensée et en déconstruisant et reconstruisant avec les autres qu’ils construisent la puissance de leur pensée.

     

     

    Le dernier défi c’est l’écrémage, c’est de se dire que c’est plus simple avec des gens qui un certain pré requis.

    C’est ce qui se trame au 8eme collège du CNLE.

    Vous savez on va consulter tout le monde, mais pas ceux là, ça va quand même être compliqué.

     

    Et c’est aussi ce qui est risqué dans les démarches de pouvoir d’agir : agir avec ceux qui ont tout de suite le plus de pouvoir.

    Comment faire que nos organisations du pouvoir d’agir citoyen ne deviennent pas des nouvelles machines à exclure ?

     

    Les plus pauvres sont souvent considérés comme des poids pour l’empowerment.

    Marx les voyait le sous prolétariat comme empêcheur de créer un rapport de force.

    Et Alinski qui inspire beaucoup l’apparition du pouvoir d’agir, lui a emboité le pas sur ce point.

     

    Mais, nous venons de le dire il ne s’agit pas seulement d’agir, mais aussi d’analyser, de critiquer et la pensée des gens exclus dans le quartier, qui a toujours manqué, amène les questions les plus dérangeante, les plus radicalement humaines.

     

    Dans le long combat que nous venons de mener pour introduire la coopération entre les enfants et la coopération école famille quartier dans la loi de refondation de l’école, nous avons mobilisé tous les acteurs syndicats, parents d’élèves etc…, dans une plateforme, mais c’est bien les familles les plus démunis qui ont amené les expériences et les questions les plus radicales, qui ont réuni et fait bouger tout le monde.

     

    L’écrémage est finalement une discrimination pour cause de pauvreté.

    La discrimination commence quand on a des stéréotypes, ceux là ne sauront pas contribuer, les femmes ne s’intéressent pas à la politique, inutile qu’elles aient le droit de vote.

    Des stéréotypes naissent les traitements différents et finalement la discrimination.

     

    Pour cela il faut aussi faire des grandes campagnes et nous sommes partenaires dans les campagnes liées au 17 Octobre journée mondiale du refus de la misère.

    Et le prochain thème, c’est cela, faire reconnaître qu’il y a de la discrimination pour cause de pauvreté.

    Et l’ONU a choisi ce thème pour le monde :

    « Vers un monde sans discrimination

    Grace à l’apport des populations les plus exclues ».


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